En sous-sol, en surface, j’ai mille fois traversé Paris, dédaignant les étoiles du ciel pour m’entrainer à voir la lumière dans le noir. En aiguisant ce nouveau regard, il m'est vite apparu que le goudron, qui vient de tous les continents pour constituer le décor de nos villes, agissait comme une bande magnétique enregistrant l'histoire de la vie sur terre, hommes, archétypes, animaux et dieux.

Des trottoirs, sombre toile offerte aux gestes aléatoires, émerge une véritable matière picturale, brute, faite d'amas, de jaillissements, d’éclats et de lumière. Méprisée ou maudite, prisonnière du bitume pour quelques heures à la merci de la moindre pluie, ou sculptée par les pieds rageurs des passants étourdis, c’est de cette matière vile, dans cette matière ville, que va naitre l’inspiration.

En explorateur, je me suis aventuré sur ce terrain de jeu, en ayant pour devise "le hasard, ma muse". Alors, dans ce musée à ciel ouvert, ébloui par ces œuvres non encore signifiées, offertes à fleur de trottoir, en open source, j’ai appris à déchiffrer les origami du vent, à interpréter le yi-king des tessons de bouteilles, à lire les plans du hasard dans les flaques de gasoil.

J'ai choisi la photo pour capturer ces apparitions, plus précisément l'utilisation du portable, outil idéal pour qui veut pénétrer l'asphalte jungle. Et, dans une démarche symétrique à celle de Nicephore Niepce, qui stabilisa le processus du développement grâce au goudron, c'est grâce à la photo que je peux, à l'inverse, stabiliser le peuple du bitume.